Ce texte publié en français le 7 février 2020 est une belle surprise d’abord pour les jeunes prisonniers du groupe El Ouali, pour tous ceux de Gdeim Izik en prison depuis plus de 9 ans, mais aussi au-delà des prisonniers politiques sahraouis, pour tous les militants marocains condamnés eux aussi à charge, tous revendiquant plus de démocratie et une justice respectueuse des traités et conventions internationales, la plupart signés par le Maroc.
De quoi est-il question ? D’une démonstration juridique minutieuse, de grande portée, exploitant avec soin les informations reçues et aboutissant à la présomption de détention arbitraire pour 14 étudiants sahraouis, condamnés en 2017 puis en appel en 2018 à des peines de 3 à 10 ans de prison pour « faits de violence entraînant la mort dans l’intention de la donner ». L’avis rendu par le groupe, sans réponse donnée dans les délais par les autorités marocaines, est sans ambiguïté : indemnisation des prisonniers déjà libérés au terme de leur peine et libération de ceux condamnés à 10 ans. Comme toujours le gouvernement marocain évite, tergiverse mais le sérieux de ce rapport qui sera sans doute remis au Conseil des droits de l’homme, aura-t-il raison d’un Etat incapable de devenir un Etat de droit ?
Il serait également important que le Président de l’Assemblée générale de l’ONU, l’Ambassadeur Tijjani Muhammad-Bande, en prenne connaissance ! Lui qui vient de nommer l’Ambassadeur marocain, Omar Hilale, facilitateur de la réforme des organes des traités relatifs aux droits de l’homme. La politique s’embarrasse rarement de l’exigence du respect des droits de l’homme, même aux Nations unies !
Pour mémoire, le groupe de travail sur la détention arbitraire a été créé en 1991 par la Commission des Droits de l’homme, organisme onusien, puis renouvelé dans son mandat par le Conseil des droits de l’homme qui a remplacé la Commission.
Le groupe a transmis au gouvernement marocain le 5 juillet 2019, une communication concernant le groupe des étudiants El Ouali auquel le gouvernement marocain a répondu tardivement, le 13 novembre 2019, au-delà des délais prescrits par le groupe. Il rappelle par ailleurs que le Maroc est partie du Pacte international relatif aux droits civiques et humains qui dans plusieurs de ses articles indique en toute clarté les règles à respecter en matière de procès, arrestations, etc
Le groupe de travail a retenu quatre cas où il peut estimer que la privation de liberté est arbitraire. Il a documenté longuement pour chaque étudiant le respect de chacun de ces cas, « démonstration juridique » lui permettant d’instruire le dossier de détention arbitraire pour chaque membre du groupe El Ouali (15 personnes) – voir liste de étudiants ci-dessous.
- impossibilité d’invoquer un quelconque fondement légal pour justifier la privation de liberté
- Lorqu’elle résulte de l’exercice des droits et libertés garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme ou par le Pacte International relatif aux droits civiques et politiques.
- En cas de procès inéquitable suivant les normes établies par la Déclaration des droits de l’homme et instruments des traités internationaux acceptés par les Etats intéressés.
- Quand la privation de liberté est liée à des discriminations fondées sur la naissance, l’origine, les opinions politiques etc
La mise en cause de ce groupe d’étudiants sahraouis qui suivent des études au Maroc faute d’Université au Sahara occidental, démarre le 23 janvier 2016, après un rassemblement tenu par des étudiants sahraouis devant l’Université Cadi Ayyad, en réaction aux mauvais traitements subis. Ce rassemblement s’affronte à des étudiants marocains et dans la confusion, un étudiant décède sans que personne n’indique les circonstances de cette mort et surtout qui l’a provoquée.
Cependant la police marocaine réagit très vite, sans certainement enquêter pour savoir qui était présent, profitant plutôt de l’occasion pour arrêter tous ceux qui lui semblent suspects car militants proches du Polisario ou au moins revendiquant leur nationalité sahraouie. Le groupe de travail ne peut sans doute pas s’autoriser à écrire aussi clairement ce parti-pris de la police de Marrakech, mais toutes les informations réunies autour des arrestations et des interrogatoires vont dans le même sens.
Ce qui est rapporté par le groupe de travail suivant les informations reçues, nous le lisons ou l’entendons régulièrement dans les rapports des procès ou en tant qu’observateurs aux audiences. Arrestations sans mandat d’arrêt, pas d’information sur les raisons des arrestations, plusieurs jours au secret soumis à des traitements cruels, à des menaces de viols avant présentation au juge d’instruction et contraintes telles que les rapports de police sont signés sans pouvoir être lus. Les interrogatoires comme toujours ne portent pas sur des faits fabriqués mais sur l’engagement auprès du Polisario et le non -respect de la patrie marocaine.
Les audiences au tribunal d’instance de Marrakech sont reportées 9 fois et les audiences d’appel trois fois. La confirmation en appel des condamnations date d’avril 2018.
La documentation des situations et des faits amène le groupe de travail à l’analyse juridique suivante : les violations commises à l’encontre du groupe El Ouali, sont constitutives des violations du droit international humanitaire, dès lors que le Sahara occidental est un territoire occupé et que les étudiants font partie des personnes protégées par la Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. Il s’agit bien de la 4éme Convention signée à Genève en 1949, relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et du droit international coutumier.
Le groupe de travail conclut : ce groupe a été emprisonné et condamné en raison de ses opinions politiques concernant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
La libération des premiers étudiants en 2019 n’a pas empêché le groupe de travail de poursuivre, de demander au gouvernement marocain de mener l’enquête sur cette affaire et de répondre de manière significative dans les 6 mois au groupe de travail.
RV ce 17 avril 2020
Liste des 15 étudiants condamnés :
- Mohamed Dada – 10 ans – interné à la prison locale d’Ait Melloul 1
- Abdelmoula Hafidi – 10 ans – interné à la prison locale d’Ait Melloul 1
- Elbar Elkantawi – 10 ans – interné à la prison locale de Bouzakaren
- Aziz Elwahidi – 10 ans – interné à la prison locale de Bouzakaren
- Nasir Amenkour – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Ahmed Baali – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Salek Babir – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Mostafa Bouragaa – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Omar Beihina – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Ali Charki – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Brahim Masih – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Elwafi Wakari – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Omar Aajna – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Hamza Errami – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
- Mohamed Ergeibi – 3 ans – libéré le 23 janvier 2019
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Photo de couverture – Al-Hussein Al-Bashir Ibrahim Amaadour